Occidere's Blog

Les vierges de l’île de Sein

maj le 31/03/10 – publié le 12/03/10

L’île de Sein : 0.58 km², 226 habitants en 2007, située à 8 km de la pointe du Raz. Un petit bout de terre perdu dans l’océan.
La légende veut que neuf prêtresses, les Barrigènes des Gaulois, exercaient leur magie sur cette île, à l’abri des regards profanes.
Tel un navigateur, je suis parti dans les flots de la toile interocéanique afin de recueillir les oracles des druidesses. Si le voyage n’a pas été trop dur, les augures se sont révélés fermes et implacables : la liberté ne se conjugue qu’avec le sacrifice.

J’ai organisé cette compilation de textes de la manière suivante :

Le mythe

  • la légende
  • une existence controversée
  • le Sid Irlandais et les îles au nord du monde

D’autres îles – D’autres prêtresses

  • korid-gwen
  • le mont Saint-Michel
  • les femmes samnites de Strabon
  • l’île des Pommes de Geoffroy de Monmouth

Symbole de libération

  • la Velléda de Chateaubriand
  • Hêna, la vierge de l’île de Sên – Eugène Sue
  • Vercingétorix
  • les compagnons de la libération

Voir aussi

.

Le mythe

L’île de Sein, où Sain, Sayn, se dénommait aussi seizun, seizhun – l’île des sept sommeils.

L’Ile-des-Sept-Sommeils, Seîn, l’île druidique,
Si basse à l’horizon, qu’elle semble un radeau
Entouré d’un millier de récifs à fleur d’eau!

– La Baie-des-Trépassés ; A. Brizeux

La légende

« L’île de Sena, située dans la mer Britannique, en face des Osismiciens*, est renommée par un oracle gaulois, dont les prêtresses, vouées à une virginité perpétuelle [perpetua virginate sancta] , sont au nombre de neuf. Elles sont appelées Gallicènes, et on leur attribue le pouvoir singulier de déchaîner les vents et de soulever les mers, de se métamorphoser en tels animaux que bon leur semble, de guérir des maux partout ailleurs regardés comme incurables, de connaître et de prédire l’avenir, faveurs qu’elles n’accordent néanmoins qu’à ceux qui viennent tout exprès dans leur île pour les consulter ».
Livre III 6 – Pomponius Mela, géographe romain (+ 43)

*   « Les Osismes (prononcer Ossimes, Osismii en latin) sont un des peuple gaulois du groupe des Celtes armoricains. Le territoire des Ossismes correspond approximativement à celui du département français du Finistère et à la partie occidentale de celui des Côtes-d’Armor » (wikipédia)

« Druidesses. Prêtresses gauloises que l’on touve aussi appelés Druiades, Dryades*, mais qui, dans la langue gauloise, avaient des noms correspondant à ceux de Senœ et Kenœ, que leur donnaient aussi les Romains, et qui signifiaient saintes, vénérables. – Elles formaient des collèges indépendants les uns des autres. Les unes, qui paraissent avoir occupé le premier rang, vivaient dans une virginité perpétuelle ; celles de quelques collèges étaient mariées, mais n’avaient avec leurs maris que de rares communications. Les plus célèbres de leurs sanctuaires étaient ceux de lîle de Sein ou de Sains, sur les côtes du Finistère ; de l’île de Sana, sur la Loire, et du Mon-Jou (Mont Saint-Michel), sur les côtes de la Manche. Celles de l’île de Sein, nommées Barrigènes par les Gaulois, selon P. Mela, et du Mont-Jou, étaient au nombre de neuf. Leur costume ordinaire consistait en une longue robe noire à larges manches, serrée par une ceinture de cuir noir, et en un bonnet blanc en forme de cône tronqué, attaché sous le menton et recouvert d’un grand vile violet. Les Gaulois croyaient qu’elles pouvaient, par leurs enchantements, exciter des tempêtes, se métamorphoser en toutes sortes d’animaux, guérir les maladies les plus invétérées, et prédire l’avenir, surtout aux navigateurs. Elles expliquaient les songes, rendaient invulnérables ceux auxquels il leur plaisait d’accorder ce privilège, évoquaient les morts, les ressuscitaient même, et détournaient la grêle et les inondations au moyen d’opérations magiques qui ne pouvaient être faites que la nuit, à la lumière des torches ou au clair de la lune. On les voyait, dit Tacite, accomplissant des sacrifices nocturnes, toutes nues, le corps teint en noir, les cheveux en désordre, des torches à la main et s’agitant comme des furies. Leur réputation de prophétesses était aussi grande et plus grande peut-être dans l’Italie que dans la Gaule […] Les auteurs chrétiens des six premiers siècles parlent souvent des Druidesses ; ils les qualifient de sorcières, en font les portraits les plus odieux et leur donnent même le nom de Lamies, de Stries, etc., qui annoncent des mœurs barbares et féroces ; mais nous croyons que de la part de ces dévots écrivains il y avait parti pris et haine religieuse. Nous ne saurions, en effet, attribuer aux Druidesses, comme l’ont fait inconsidérement certains auteurs, ce que Strabon rapporte (liv. VI) des prêtresses des Cimbres. Lorsque l’armée avait fait des prisonniers, dit cet auteur, les Druidesses accouraient vêtues de blanc et l’épée à la main, jetaient les prisonniers par terre, les trainaient jusqu’au bord d’une grande citerne ; là, une autre Druidesse attendait les victimes, et, à mesure qu’elles arrivaient, elle leur plongeait un couteau dans le sein et tirait des prédictions de la manière dont le sang coulait ; les autres Druidesses ouvraient ensuite les cadavres et en examinaient les entrailles pour en tirer des prédictions que l’armée attendait avec impatience. Sous les rois de la seconde race, où elles portaient les noms de Fadae, Fanae, Gallicae, on nous les montre habitant les cavernes, les puits desséchés, les lieux déserts, où de nombreux visiteurs venaient les interroger, et leur apportaient des présents en échange de leurs consultations ».
L’instruction popularisée par l’illustration, par Bescherelle, 1851, p40

*   « Le mot « dryades » est issu du grec ancien Δρυάδες / druádes, de δρῦς / drũs, qui signifie « chêne ». Dans la mythologie grecque elles sont des divinités mineures liées aux chênes. Elles sont considérées comme des créatures très timides qui se montrent rarement » (wikipédia).

« La Gaule avait ses Druidesses, tenant aussi leurs collèges dont les pricipaux étaient établis dans les îles de l’Armorique […] Leur célébrité était si grande qu’on venait les consulter de toutes parts. Ce fut une Druidesse qui prédit à Alexandre Sévère qu’il serait assassiné par ses soldats s’il exécutait son projet d’envahir la Germanie ; ce fut encore une Druidesse qui prédit à Dioclétien que la famille d’Aurélien devait bientôt cesser de règner, et que lui-même parviendrait au trône. Les prêtresses magiciennes succombèrent, comme les Druides, sous les édits d’Auguste, de Tibère et de Claude, et surtout sous les efforts du Christianisme triomphant ».
Le Morbihan, son histoire et ses monuments, Cayot Délandre, 1847, p.20

Une existence controversée

« C’est l’île sainte des Sept-Sommeils où l’on dit que vivaient les vierges prophétiques. Mais ces créatures extraordinaires ont-elles jamais existé ailleurs que dans l’imagination des hommes de mer? Les matelots n’ont-ils pas pris, de loin, pour les robes blanches des prêtresses les mouettes posées au soleil sur les rochers? Le souvenir de ces vierges est vague comme un rêve. On a fouillé le peu de terre contenu dans les creux du granit, où croissent aujourd’hui pour la nourriture des pêcheurs, de rares et maigres épis d’orge. On n’a trouvé dans ce sol aucune pierre taillée. On y a recueilli seulement quelques médailles en forme de petites coupes, portant sur leur face bombée une effigie de héros ou de dieu, à la chevelure bouclée, nouée de perles, et, sur la face creuse, un cheval à tête d’homme. Comment imaginer un collège de prêtresses sur cet écueil ras, stérile, nu, noyé de brumes, et que, par les tempêtes, la mer recouvre quelquefois tout entier? Mais peut-être l’île de Sein était-elle autrefois plus vaste et plus ombreuse qu’elle n’est aujourd’hui, et l’Océan, qui sans cesse ronge ses bords, a-t-il englouti une partie de l’île avec le temple et le bois sacré des vierges ».
Pierre Nozière par Anatole France

« Il semble bien que cette histoire ne soit qu’un résumé de quelque récit fabuleux comprenant beaucoup d’éléments empruntés à l’histoire de Circé. Remarquons de plus que le nom de druidesse n’y est pas prononcé. Si nous n’acceptons qu’avec réserve le témoignage de Mela sur les vierges de Sein, nous ne trouvons qu’au IIIe siècle en Gaule des prophétesses appelées dryades. L’une aurait prédit en gaulois à Alexandre Sévère sa fin prochaine. L’empereur Aurélien avait consulté des prophètesses gauloises, Gallicanes Dryadas, sur l’avenir de sa postérité » .
Georges Dottin La Religion des Celtes 1904

Le Sid Irlandais et les îles au nord du monde

Pour Fr. Le Roux & C.-J. Guyonvarc’h (Les Druides, Ed. Ouest France, 1986), les prêtresses de l’île de Sein sont une légende, et n’ont d’autre existence que celle d’un mythe transposé en histoire. Il n’empêche que ces auteurs attribuent le pouvoir de transformations de ces prêtresses au don de métamorphoses, si fréquent dans la littérature irlandaise. Ce don – il ne faut y voir la moindre allusion à la métempsychose, transmigration ou réincarnation – est l’attribut des êtres d’exception. « Il constitue une trace de l’existence de techniques magiques d’un niveau très élevé ». Ces changements d’états sont le privilège des femmes de l’Autre-Monde, telle que les prêtresses de l’île de Sein, Morgane, Cerridwen. Mais aussi des messagères des dieux, qui prennent souvent l’aspect d’un oiseau (cygne ou autres oiseaux aux couleurs merveilleuses). Ces dernières sont les messagères du Sid, l’Autre-Monde celtique, dont les éléments essentiels sont ainsi résumés :

« la messagère du sid, prometteuse d’amour et de félicité éternelle ;
– la localisation dans les îles lointaines, rendant indispensable un passage en bateau ;
– la musique merveilleuse qui endort ;
– l’absence de toute fonction et de toute hiérarchie humaine ;
– la consommation de mets succulents et inépuisables ; l’absorption de boissons énivrantes, bière, hydromel, vin ;
– l’abolition du temps et de l’espace ;
– la disparition de toute faute et de toute maladie ».

Le Roux & Guyonvarc’h assurent qu’il faut distinguer les îles mythiques du domaine de l’Autre Monde – les îles septentrionales qui ne sont pas situées dans notre espace terrestre, qui sont au nord du monde – de celles, très réelles, où les druides vont acquérir une initiation supérieure et d’où ils reviennent sans encombre pour dispenser leur enseignement : Alba (l’Ecosse pour les Irlandais), Britannia (la Grande-Bretagne pour les Gaulois), l’Insula sacra (l’Irlande). Entre mythe et réalité, ces îles ont fait fortes impressions sur les Grecs et ont laissé des noms qui hantent l’imaginaire : Thulé et Hyperborée.

D’autres îles – D’autres prêtresses

Le thème des femmes formant une communauté insulaire est largement attesté dans la tradition :
– Maelduin est accueilli par une reine et ses 17 filles sur une île ;
– les navigations de Bran fils de Fébal l’amène sur l’île des femmes , les neufs sorcières de Kaer Loyw. Gloucester n’est pas une île, mais est perçue comme telle dans la tradition Galloise ;
– c’est sur l’île de Skye qu’est initié Cuchulainn, île où demeure la magicienne Scathach Uanaind ;
– Sechan et ses compagnons rencontre sur l’île de Man une Femme-Docteur :
– mais aussi, chez les Grecs, le passage des Argonautes dans l’île de Lemnos ;
– …

Korid-gwen

« Tacite nous apprend qu’il y avait une déesse celte, appelée Gan ; et les anciens bardes cambriens déclarent révérer un être mythologique, du sexe féminin, nommé Korid-gwen, à laquelle ils donnent neuf vierges pour suivantes ; d’un autre côté, P. Méla appelle les neufs prêtresses de l’île de Sein parfois Galliguen, et parfois Barriguen, tandis que Vopiscus donne le nom de Galligan aux druidesses de la Gaule.
[…]
Comme ces vierges sacrées, les korrigan bretonnes prédisent l’avenir ; elles savent l’art de guérir les maladies incurables au moyen de certains charmes … elles prennent la forme de tel animal qu’il leur plaît ; elles se transportent, en un clin d’œil, d’un bout du monde à l’autre … C’est en effet près des fontaines que l’on rencontre le plus fréquemment les korrigan, surtout des fontaines qui avoisinnent des dolmen … Les paysans bretons assurent que ce sont de grandes princesses qui, n’ayant pas voulu embrasser le christianisme quand les apôtres vinrent en Armorique, furent frappées de la malédiction de Dieu. Les Gallois voient en elles les âmes des druidesses condamnées à faire pénitence ».
Barzaz-Breiz, Chants populaires de la Bretagne, Th. Hersart de la Villemarqué, T.II, 1846

Le mont Saint-Michel

« Avant le christianisme, le Mont-Saint-Michel s’appelait le Mont-Bélen, parce qu’il était consacrait à Bélénus, un des quatre grands Dieux qu’adoraient les Gaulois. Il y avait sur ce mont un Collège de neufs Druidesses ; la plus ancienne rendait des oracles ; elles vendaient aussi aux marins des flèches qui avaient la prétendue vertu de calmer les orages, en les faisant lancer dans la mer par un jeune homme de 21 ans qui n’avait pas encore perdu sa virginité. Quand le vaisseau était arrivé, on députait le jeune homme pour porter à ces Druidesses des présents plus ou moins considérables ».
Mémoires de la société archéologique de Montpellier, T.II, 1850

Les femmes Samnites de Strabon

Le texte qui suit remonte à Poseidonios qui a parcouru une partie de la Gaule à la fin du IIè sècle avant J.-C. Suivant B. Sergent, dans son essai  le sacrifice des femmes Samnites, le rite est qualifié de Dyonisiaque, non pas que les celtes de la région de la Loire ait été influencé par la tradition grecque, mais plutôt par une interprétation graeca d’un dieu Gaulois. Les Bacchantes (Ménades) sont en effet des femmes possédées qui dépècent leurs victimes dans leur accès de transe dyonisiaque. Pour le reste, B. Sergent propose une date à la cérémonie des femmes Samnites, une autre à leur union avec leurs maris et donne une raison au sacrifice. Il s’appuie sur les traditions celtiques, grecques et germaniques.

« Dans l’Océan, non pas tout à fait en pleine mer, mais juste en face de l’embouchure de la Loire, Posidonius nous signale une île de peu d’étendue , qu’habitent soi-disant les femmes des Samnites. Ces femmes, possédées de la fureur bachique, cherchent, par des mystères et d’autres cérémonies religieuses, à apaiser, à désarmer le dieu qui les tourmente. Aucun homme ne met le pied dans leur île, et ce sont elles qui passent sur le continent toutes les fois qu’elles sont pour avoir commerce avec leurs maris, après quoi elles regagnent leur île. Elles ont couturne aussi, une fois par an, d’enlever la toiture du temple de Bacchus et de le recouvrir, le tout dans une même journée, avant le coucher du soleil, chacune d’elles apportant sa charge de matériaux. Mais s’il en est une dans le nombre qui en travaillant laisse tomber son fardeau, aussitôt elle est mise en pièces par ses compagnes, qui, aux cris d’évoé, évoé, promènent autour du temple les membres de leur victime, et ne s’arrêtent que quand la crise furieuse qui les possède s’est apaisée d’elle-même. Or ce travail ne s’achève jamais sans que quelqu’une d’entre elles se soit laissée choir et ait subi ce triste sort ».
– Texte de Strabon – Livre IV, Ch IV, la Belgique

L’île des Pommes de Geoffroy de Monmouth

« L’Ile des Pommes, qui est appelée fortunée, tire son nom de ce qu’elle produit tout par elle-même […] Neuf sœurs, par une loi agréable, accordent des droits à ceux qui viennent vers elles de nos régions. Celle d’entre elles qui est la première est devenue la plus savante dans l’art de guérir et elle dépasse ses sœurs par sa remarquable beauté. Son nom est Morgane et elle enseigne qu’elle est l’utilité de toutes les plantes pour guérir les corps malades. Un art qui lui est bien connu est de savoir changer de visage et, comme Dédale, de voler par les airs avec des plumes neuves. Quand elle le veut, elle est de Bristus (Brest), de Carnotus (Chartres) ou de Papia (Pavie) ; quand elle le veut, elle glisse des airs sur nos rivages. On dit qu’elle a enseigné l’astrologie à ses sœurs : Moronoe, Mazoe, Gliten, Glitonea, Gliton, Tyronoe, Thiten, Thiton très habile à la cithare ».
Vita Merlini (la vie de Merlin) de Geoffroy de Monmouth

Cette île des Pommes n’est autre que l’île d’Avallon, qui est habitée par la légendaire Morgane, « née de la mer ».

Symbole de libération

La Vélleda de Chateaubriand

« Eudore était un officier romain converti au christianisme. Il fit libérer Velléda, une druidesse qui avait été livrée à Rutilius Gallicus, puis conduite à Rome, pour avoir soutenu en 69-70 la révolte des Bataves (peuple germanique qui habitait la Hollande méridionale actuelle) contre l’empereur romain Titus Flavius Vespasien (9-79). La révolte était conduite par Civilis mais Velléda poursuivra la lutte après la soumission de ce dernier ». (wikipédia).

Extrait (ref) : « L’EXHORTATION DE VELLÉDA »

« O île de Sayne, île vénérable et sacrée ! je suis demeurée seule des neuf vierges qui desservaient votre sanctuaire. Bientôt Teutatès n’aura plus ni prêtres ni autels. Mais pourquoi perdrions-nous l’espérance ? J’ai à vous annoncer les secours d’un allié puissant : auriez-vous besoin qu’on vous retraçât le tableau de vos souffrances, pour vous faire courir aux armes ? Esclaves en naissant, à peine avez-vous passé le premier âge, que des Romains vous enlèvent. Que devenez-vous ? Je l’ignore. Parvenus à l’âge d’homme, vous allez mourir sur la frontière pour la défense de vos tyrans, ou creuser le sillon qui les nourrit. Condamnés aux plus rudes travaux, vous abattez vos forêts, vous tracez avec des fatigues inouïes les routes qui introduisent l’esclavage jusque dans le coeur de votre pays : la servitude, l’oppression et la mort, accourent sur ces chemins en poussant des cris d’allégresse, aussitôt que le passage est ouvert. Enfin, si vous survivez à tant d’outrages, vous serez conduits à Rome : là, renfermés dans un amphithéâtre, on vous forcera de vous entre-tuer, pour amuser par votre agonie une populace féroce. Gaulois, il est une manière plus digne de vous de visiter Rome ! Souvenez-vous que votre nom veut dire voyageur. Apparaissez tout à coup au Capitole, comme ces terribles voyageurs vos aïeux et vos devanciers. On vous demande à l’amphithéâtre de Titus ? Partez : obéissez aux illustres spectateurs qui vous appellent. Allez apprendre aux Romains à mourir, mais d’une tout autre façon qu’en répandant votre sang dans leurs fêtes : assez longtemps ils ont étudié la leçon, faites-la-leur pratiquer. Ce que je vous propose n’est point impossible. Les tribus des Francs qui s’étaient établis en Espagne retournent maintenant dans leur pays ; leur flotte est à la vue de vos côtes ; ils n’attendent qu’un signal pour vous secourir. Mais si le ciel ne couronne pas vos efforts, si la fortune des Césars doit l’emporter encore, eh bien ! nous irons chercher avec les Francs un coin du monde où l’esclavage soit inconnu. Que les peuples étrangers nous accordent ou nous refusent une patrie, terre ne peut nous manquer pour y vivre ou pour y mourir ».
– Livre IX, pp. 155-156 Les Martyrs, suivis des Remarques, François-René de Chateaubriand. Paris

Dans les Remarques sur les Martyrs, qui figurent en annexe, Chateaubriand indique les sources qu’il utilise pour l’épisode de Velléda : Strabon, Denys le Voyageur et Pomponius Mela ; c’est ce dernier qui a le plus contribué à accréditer l’existence des neuf prêtresses.

Hêna, la vierge de l’île de Sên – Eugène Sue

Dans son roman, les mystères du peuple, Eugène Sue raconte l’histoire d’Hêna, la vierge de l’île de Sên, en l’an 57 avant J.-C. A deux lieux d’Alré, à la lisière de la forêt de Karnak, vit une famille gauloise dont le père se nomme Joël, fils de Marick, fils de Kirio, fils de Tiras, fils de Gomer, fils de Vorr, fils de Glenan, fils d’Erer, fils de Roderik. Un soir, en compagnie de son fils, il fait la rencontre d’un mystérieux cavalier solitaire qui désire se rendre à l’île de Sên pour y rencontrer Talyessin et son épouse Auria. Ce voyageur n’est autre que le chef des cent vallées, Vercingétorix.  Hêna, la fille de Joël, est une des prêtresses de l’île, et ce hasard de rencontre scelle le destin de cette famille qui va s’impliquer activement dans la lutte contre l’invasion romaine sous César. C’est ainsi, qu’en vertu d’Hésus, Dieu Gaulois avide de sang humain, un triple sacrifice est organisé afin de favoriser le peuple Gaulois dans la guerre qui s’annonce.

Trois sacrifices humains dans la mystérieuse forêt de karnak

« Mon père et ma mère m’honorent trop en m’appelant sainte, – répondit la jeune vierge. – Comme les druides, moi et mes compagnes, nous méditons la nuit, sous l’ombrage des chênes sacrés, à l’heure où la lune se lève. Nous cherchons les préceptes les plus simples et les plus divins pour les répandre parmi nos semblables ; nous adorons le Tout-Puissant dans ses œuvres, depuis le grand chêne qui lui est consacré jusqu’aux humbles mousses gui croissent sur les roches noires de notre île… depuis les astres dont nous étudions la marche éternelle jusqu’à l’insecte qui vit et meurt en un jour… depuis la mer sans bornes… jusqu’au filet d’eau pure qui coule sous l’herbe. Nous cherchons la guérison des maux qui font souffrir ; et nous glorifions ceux de nos pères et de nos mères qui ont illustré la Gaule. Par la connaissance des augures et l’étude du passé, nous tâchons de prévoir l’avenir, afin d’éclairer de moins clairvoyants que nous. Comme les druides, enfin, nous instruisons l’enfance, nous lui inspirons un ardent amour pour notre commune et chère patrie… aujourd’hui si menacée par le courroux de Hésus !… parce que les Gaulois ont trop longtemps oublié qu’ils sont tous fils d’un même Dieu et qu’un frère doit ressentir la blessure faite à son frère !
[…]
– Mon père et ma mère ne savent-ils pas que cette nuit, à l’heure où la lune se lèvera, il y aura trois sacrifices humains aux pierres de la forêt de Karnak ?
– Nous savons, – reprit Joel, – que toutes les tribus sont appelées pour se rendre ce soir à la forêt de Karnak ; mais quels sont ces sacrifices qui doivent être agréables à Hésus, fille chérie ?
– D’abord celui de Daoülas, le meurtrier ; il a tué Hoüarné sans combat pendant son sommeil… Les druides l’ont condamné à mourir ce soir. Le sang d’un lâche meurtrier est une expiation agréable à Hésus.
– Et le second sacrifice ?
– Notre parent Julyan veut aller, par amitié jurée, rejoindre Armel, qu’il a loyalement tué par outre-vaillance… Ce soir, glorifié par le chant des bardes, il ira, selon son vœu, retrouver Armel dans les mondes inconnus. Le sang qu’un brave offre volontairement à Hésus… lui est agréable.
– Et le troisième sacrifice, fille chérie ? – dit Mamm’ Margarid, – le troisième sacrifice, quel est-il ? »
Eugène Sue, Les mystères du peuple – Tome I – Romans historique, 1857— sur ebooksgratuits.com, pdf, 1.8Mo

Voir aussi la présentation de cet ouvrage sur eugene.sue.free.fr. Ce livre a été censuré par le second empire, en 1857 par le procureur impérial Ernest Pinard.

Vercingétorix

« Plusieurs auteurs rapportent que Vercingétorix s’entretenait, sous la sombre ramure des bois, avec les âmes des héros morts pour la patrie. Avant de soulever la Gaule contre César, il se rendit dans l’île de Sein, antique demeure des druidesses. Là, au milieu des éclats de la foudre, un génie lui apparut et lui prédit sa défaite et son martyre ».
– Bosc et Bonnemère, Histoire nationale des Gaulois, cité par Léon Denis, Après la mort

L’initiation de Vercingétorix sur l’île de Sein est décrit par André Le Bey, L’Initiation de Vercingétorix, 1926 et raconté par:   Léon Denis, Le génie Celtique et le monde invisible :

« Poursuivant son voyage, Vercingétorix va consulter les druidesses de l’île de Sein. « Tu es venu, lui disent-elles, nous interroger sur l’énigme du monde. Nous et nos prêtres, nous t’avons répondu. Tu es arrivé, comme nous, à la connaissance de la migration des âmes et des lois de la vie universelle. Maintenant, une autre tâche te sera imposée, il te faut désormais penser à Rome. Si tout ce que tu as vu de l’Empire gaulois t’a fait l’aimer, si tu tiens à notre religion, forte et douce, naturelle et divine, où le mal inévitable de la vie s’éclaire et se rachète par le sacrifice, puis atteint au sublime véritable par le culte équilibré de l’esprit ; si tu te rends compte que dans la froide cité sur laquelle veille le Capitole, malgré la douceur du climat et la beauté des crêtes apennines, vaincu, tu regretterais à en mourir l’air salubre de Gergovie, la leçon vivante du Puy majestueux, la profondeur apaisante de tes forêts, alors prépare-toi dès maintenant ! Dresse-toi pour sauver ton pays et sa religion unique au monde, ton pays aux eaux claires, aux coeurs querelleurs mais bons et chauds. Crois-moi, crois mes soeurs, crois nos prêtres ; cette vertu particulière à notre sol où la race celte atteint son plus juste épanouissement n’existe pas ailleurs. »
Plus tard, la grande druidesse conduit le chef arverne sur le promontoire qui domine la mer d’épouvante, en face de l’île sacrée dans ce tumulte des vagues, qui donnait à ses paroles une sorte de solennité fatidique, elle lui jeta ces mots d’une voix impérieuse : « Elu de tous, tu seras Roi et tu nous appartiens. Sur ce glaive étincelant, au-dessus de l’abîme, symbole de la Volonté, par-delà toutes les agitations humaines, jure de vouer toutes les minutes de ta vie, ta vie, ta mort, tout ce qui compose ton corps périssable, aussi bien que tout ce qui y prépare ton âme immortelle à l’accomplissement de la délivrance.
Tu es ici au bout du monde. Si ton serment est sincère, les dieux qui veillent autour de nous et dans les îles, aux confins du sanctuaire de tous les sanctuaires, t’exauceront[3] ! » Et dans le vent et la tempête, au bruit des vagues mugissantes, sur le glaive ensanglanté, Vercingétorix jura ! »

Les compagnons de la libération

C’est sur ce paragraphe que j’aimerais conclure : l’île de Sein, l’île mythique des neufs vierges , a rejoint l’histoire de France  grâce à un ordre – d’une autre nature cette fois que celui des collèges druidiques – puisqu’il s’agit de l’ordre de la Libération, créé dans le but de récompenser les personnes ou les collectivités qui se sont signalées au cours de la Libération de la France lors de la Seconde Guerre mondiale.

« L’île de Sein a eu son heure de gloire, lorsque les 124 pêcheurs de l’île l’ont quittée pour répondre à l’appel du Général de Gaulle. En effet, tous les hommes sans exception gagnèrent la Grande-Bretagne à bord de leurs bateaux à l’appel du 18 juin 1940 du général de Gaulle ».  Cinq navires prennent la mer le 24 et 26 juin, le premier se nommant -hasard de l’histoire- le Velleda. « Ces hommes furent parmi les premiers Français à gagner la Grande-Bretagne : quelques jours après l’appel du général de Gaulle, environ 25 % des Français arrivés à Londres venaient de Sein. Ce qui valut un éloge de la part du général de Gaulle : « l’île de Sein est un quart de la France ». L’île de Sein est l’une des cinq communes françaises qui ont été faites compagnons de la Libération. En 1962, un timbre postal a été émis pour commémorer cet épisode glorieux de l’histoire de l’île. Il représente le monument sculpté par René Quilivic ».(wikipédia)
Les quatres autres communes sont : Paris, Nantes, Grenoble et Vassieux-en-Vercors.

Faut-il demander aux habitants de l’île de Sein si le « Quai des Français Libres » garde un œil sur les côtes Bretonnes et sur le France ?

Voir aussi :

 
 

A la mémoire des réistants de l'île de Sein

 

 

31 mars 2010 - Posted by | mythes | ,

9 commentaires »

  1. l’indépendence de la femme déstabilise l’homme,ça le rend vulnérable!

    Commentaire par mafalda | 12 mars 2010 | Réponse

  2. merci pour toutes ces infos! quelles belles recherches! Yasmine

    Commentaire par Yasmine | 16 juillet 2010 | Réponse

    • … et merci pour vos encouragements.

      Commentaire par Occidere | 19 juillet 2010 | Réponse

  3. Merci beaucoup ! J’ai pu découvrir une légende fort intéressante. Elle m’a beaucoup inspiré et m’as servi de point de départ pour mon dernier projet.

    Commentaire par Mlle Terite | 22 août 2010 | Réponse

    • Tout le plaisir est pour moi : c’est toujours agréable d’entendre que d’autres partagent les mêmes centres d’intérêt.
      Et ce projet ?

      Commentaire par Occidere | 22 août 2010 | Réponse

      • Un projet de type illustratif mais je ne peux pas en dire plus avant octobre…

        Commentaire par Mlle Terite | 23 août 2010 | Réponse

  4. Bonjour, j’aimerais vous montrer une photo d’une gravure préhistorique abstraite pour savoir ce que vous en pensez (si vous en pensez quelque chose). Puis-je vous l’envoyer sur une adresse mail?
    Cordialement,
    Yasmine Chettouh

    Commentaire par Chettouh | 21 octobre 2010 | Réponse

  5. Bravo pour cette etude par le mythe de l’histoire et préhistoirede l’ile de sein.
    j’ai moi même utilisé les differents mythes pour un memoire de master et une bio de mon père « Nicolas le pacha du razde Sein »

    Commentaire par Fouquet jos nicolas | 15 mars 2011 | Réponse

  6. Je m’intéresse au monde celtique et plus particulièrement aux druides depuis de nombreuses années. Votre travail est une belle approche pour en savoir davantage. La « légende des neuf vierges » m’interpelle pour diverses raisons.Ma question: pensez-vous qu’il existe une relation entre ces neuf vierges et le cairn de Gavrinis, au large de Larmor Baden, qui était, rappelons-le un cairn initiatique?

    Commentaire par K. j. | 8 août 2013 | Réponse


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