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La Flamme de Yah

« Elle dormait, sa tête appuyée à son bras ;
Ne la réveillez pas avant qu’elle le veuille ;
Par les fleurs, par le daim qui tremble sous la feuille,
Par les astres du ciel, ne la réveillez pas ! »

V. Hugo – Le Cantique de Bethphage,  La fin de Satan, 1886

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Voici le cantique par excellence qui rend hommage à la grâce de Dieu. C’est le Cantique des cantiques, le Poème des poèmes. Il est la Flamme de Yah, puissance de l’amour.

Ambivalents, équivoques, mots et expressions jouent le clair-obscur et on y voit l’amour entre un homme et une femme.  amour charnel, profondément érotique. C’est le plan humain.
On dit que le sexe de la femme a été traduit par l’huis : « Mon Bien-Aimé a mis la main à l’huis ; mes entrailles ont tressailli ». D’autres traductions donnent : « Mon bien-aimé a passé la main par la fente », « Mon amant lance sa main par le trou », « Mon amour tend sa main par l’ouverture » (Cantique V,4). Pour d’autres le mot mehaï ne peut pas être pris au sens physique car il désigne le siège des émotions, le cœur, ce qui est plus conforme avec le verset suivant où l’Épouse dit qu’elle s’est levée pour ouvrir (la porte) à son bien-aimé.
Pleins de suavité, la parole égare et libère les sens. L’imaginaire se fourvoie. On entend avec les yeux et voit avec les oreilles : « Mes mains dégoulinent de myrrhe, mes doigts de myrrhe ruisselante, j’ouvre moi-même, à mon amant » ; « Je te ferai boire du vin d’épice du jus de ma grenade » ; « Ton ventre est un monceau de froment entouré de roses »  …

Dans son introduction au Cantique, Chouraqui révèle un deuxième plan de signification : le plan cosmique. C’est dans l’universalité du réel que naît l’amour. La poësie hébraïque voit le réel sous la forme d’un homme, et dans cet homme la totalité de l’univers. Ce que je comprend, moi, c’est qu’il parle, pour ne pas le nommer, car il s’agit après tout d’un livre biblique, de l’Eros. Ou encore de la relation de l’homme à Dieu, Yah. Marina Poydenot, théologienne, voit dans le Cantique des cantiques une double allégorie : celle de l’amour entre Dieu et les siens, et celle de l’amour entre l’âme et Dieu. Ici se confond, comme nous l’a montré Anders Nygren, l’Éros et l’Agapè.

Comment alors ne pas penser, en lisant le Cantique, à Eros et Psyché ?
Jean-François Froger voit dans la description du Cantique des cantiques l’amour nocturne entre une mortelle et une divinité, de façon tout à fait superposable à celui d’Eros et de Psyché. Psyché ne connaît Eros que de nuit, et disparaît le jour. C’est ce qu’il appelle « la connaissance de nuit ».
Mais laissons le texte parler :
« Sur ma couche, la nuit, j’ai cherché mon Aimé d’amour »
« Lorsque le jour soufflera et que les ombres disparaîtront, j’irai au « mont de la Myrrhe » et à la « colline de l’Encens » »
« J’étais endormie, mais mon cœur veillait… C’est la voix de mon bien-aimé, qui frappe : Ouvre-moi, ma sœur, mon amie, ma colombe, ma parfaite ! Car ma tête est couverte de rosée, mes boucles sont pleines des gouttes de la nuit ».
« Viens, mon Bien-Aimé, sortons dans la campagne, passons la nuit dans les villages ».
« Sous le pommier, je l’ai réveillé. Là, ta mère t’a mis au monde, elle t’a conçu, elle t’a enfanté ».
Cette interprétation du Cantique des cantiques comme un rêve est aussi celle que propose la théologienne Marina Poydenot, enseignante au Centre Sèvres à Paris :
« Un rêve éveillé de la bien-aimée qui se remémore ses unions amoureuses avec le bien-aimé … Ce songe tourne autour d’un même objet sans jamais le montrer entièrement, poursuit-elle. On ne sait si le bien-aimé est là ou pas ; quant à la bien-aimée, c’est dans son imagination qu’elle est portée vers lui. »

Faisons un pas de plus … soyons fou !

La mythologie a laissé quelques traces des unions nocturnes entre divinités et mortelles  :

*  Alexandre le Grand passe pour être le fils de l’union entre Olympias et Zeus :
Olympias eut l’impression, durant la nuit où ils s’unirent dans la chambre, que la foudre avec le tonnerre lui tombait sur l’estomac     (Wilhelm Heinrich Roscher citant Plutarque dans Vie d’Alexandre)
* Auguste, fils d’Apollon et d’Atia Balba Caesonia
Dans les « Recueils d’aventures divines » d’Asclépias de Mendès, je trouve l’histoire suivante. Atia, s’étant rendue au milieu de la nuit à une cérémonie solennelle en l’honneur d’Apollon, fit placer sa litière dans          le temple et s’y endormit, tandis que les autres matrones dormaient ; or un serpent se glissa tout à coup auprès d’elle et se retira bientôt après ; à son réveil elle se purifia comme si elle sortait d’une union avec son mari ; et dès lors elle exhiba sur le corps une tache en forme de serpent et jamais elle ne put la faire disparaître, de sorte qu’elle dut renoncer aux bains publics. Et comme Auguste naquit neuf mois       après, il fut considéré dès lors comme fils d’Apollon.
* Platon, fils du Dieu Apollon et de la mortelle Périctioné
* Héraclès, fils d’Alcmène, et de Zeus qui tripla la durée de la nuit pour prolonger son plaisir avec elle
* le désir de Zeus tombant sous la forme d’une pluie d’or sur Danaé endormie et concevant Persée
* selon la légende la mère du Bouddha l’aurait conçu pendant son sommeil en rêvant d’un éléphant blanc qui pénétra dans son flanc
* Roscher cite encore la légende de Thasios sur la naissance de Theagenes, de Zeus et Sémélé, Mars et Ilia.

On peut supposer que la mère de l’amante, dans le Cantique, a connu la même expérience qu’elle, et que de cette union est-elle née : « Sous le pommier, je t’ai éveillé. Là, ta mère te concut, là te concut ta procréatrice » (VIII,5)

D’après Julius Evola, les développements subtils de l’Eros sont sous la gouverne du royaume de la nuit, de l’obscurité, car c’est de nuit qu’ont lieux les changements d’état de la conscience. Nous l’avons vu, J.Fr. Froger l’appelle la connaissance de nuit.

L’évocation d’Eros, lorsqu’elle s’est heurtée à la théologie chrétienne, notamment sous le règne de l’inquisition,  n’a-t’elle pas pu être censurée et tomber dans la démonologie, sous des termes tels qu’incube et succube ? L’union nocturne entre des êtres surnaturels et des femmes endormies ne s’est-elle pas prolongée de façon ténébreuse pour devenir un cauchemar ?

Fr. Gury nous a montré que l’incube pouvait être phallique, donneur de richesse et « donneur d’or ». « Nous te ferons des colliers d’or pointillés d’argent » (I,11) ; « Sa tête est comme l’or très pur » (Cantique V,11) ; « Ses mains sont des cylindres d’or garnis de chrysolithes » (V,14) ; « Ses jambes sont des colonnes de marbre posées sur des bases en or pur »  (V,15).

Pour conclure, citons J.Fr. Froger : Concevoir Eros, c’est se concevoir soi-même .
«Il répond, mon amant, et me dit : Lève-toi vers toi-même, ma compagne, ma belle, et va vers toi-même! » (Cantique II,10 – Chouraqui)

28 avril 2010 - Posted by | mythes, points de vue | , ,

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